samedi 17 septembre 2011

De l'harmonie des sphères : Odessey and Oracle, chef d'oeuvre miraculé



The Zombies : Odessey and Oracle (1968, Répertoire, 35 minutes)
Nathalie L.

Dans Lunar Park, le narrateur décrit une fête d'Halloween où un DJ fantasque, censé passer de la musique sur ce thème précis, se lance dans un mix que l'on peut qualifier de sémantique...en diffusant, entre autre, le Time of the season, morceau qui clôt Odessey and Oracle, album unique et ultime des Zombies, sorti en 1968. Rien à voir avec Halloween me direz-vous, si ce n'est que cet album, considéré désormais comme un chef d’œuvre des années 60 (on le retrouve régulièrement dans tous les classements), est littéralement maudit.

Déjà parce qu'il n'est pas facile de percer lorsque l'on sort son premier single en 1964 : la suprématie des Beatles est incontestable, deux albums sortiront cette année-là (Hard Day's Night et Beatles for Sales). Du côté de Chelsea, de vrai-faux mauvais garçons et leur chanteur lippu et sexy commencent à faire tourner la tête aux filles. Et c'est cette British-Invasion qui part croiser le fer aux Etats-Unis avec une fraternité californienne, 1964 c'est aussi l'année de la sortie d'I get around.
Les cinq musiciens des Zombies ne sont ni des rockers, ni des surfers, ni des mods... Ce sont cinq garçons bien nés (ils viennent du chic et calme Hertfordshire), éduqués et lettrés. Deux d'entre eux portaient des lunettes, ce qui faisaient d'eux, dans la presse, des 'intellectuels'. On est loin de déclencher chez les filles les hurlements qui accompagnaient chaque apparition des Fab Four...
Et c'est Outre-Manche, en 1964, dans l'indifférence générale, que sort le désormais classique She's not there. Le single, comme ceux qui vont suivre, vont marcher aux USA, au Japon. Mais pas en Angleterre. Et pas suffisamment pour encourager le quintette à s'acharner.
En 1968, ils rentrent en studio à Abbey Road, au mythique studio 2, avec Geoff Emerick, pour enregistrer les douzes pépites qui composent ce disque censé s'appeler Odyssey and Oracle. Mais épuisés par un enregistrement sans moyens, découragés par les ventes insuffisantes de leurs précédents single, ils n'y croient plus et le groupe se sépare. CBS de son côté renonce à publier l'album...Il faudra l'acharnement d'Al Kooper pour que le disque sorte aux Etats-Unis et y trouvent ses lettres de noblesse (et sa faute de frappe) : le single Time of the season se vendra à 1 million d'exemplaires. Mais il est trop tard pour le groupe, ainsi leur chanteur Colin Blunstone, dépité, avait déjà engagé une carrière solo (à ce sujet, on peut écouter l'album One Year).
40 ans plus tard, pourtant, Odessey and Oracle est toujours considéré comme un chef d’œuvre absolu, le Pet Sounds anglais, comme il a souvent été décrit. Il est juste sorti au mauvais moment, coincé entre l'album blanc des Beatles et le Beggar's Banquet des Rolling Stones.
Pourtant, tout était réuni pour faire de cet album un succès planétaire. Rod Argent, le claviériste, et Chris White le bassiste sont des musiciens brillants et avertis. Le croisement de leurs influences respectives, le classique pour le premier (en particulier la musique sacrée du compositeur anglais Herberts Howell) et le jazz pour le second (Miles Davis entre autre) donneront naissance à douze des plus parfaites pop-song de tous les temps.
La musique des Zombies est virtuose : rythmique en or, chœurs à la tierce et à la quinte quasi surnaturels, mellotron dont sortent les sons célestes de clavecin, de flûtes. Principalement jouée en mode mineur harmonique et mélodique, leur musique dégage une douce nostalgie, des émotions délicates, une sensibilité exacerbée. La voix délicatement voilée de Colin Blunstone ajoute un charme irrésistible à l'ensemble.
Il faut écouter ce disque d'une traite pour percevoir sa perfection, ces douze chansons tendant vers l'absolu et de la beauté nichée partout : le clavecin de Care of Cell 44 qui ouvre l'album, le piano d'A rose for Emily ou de Brief Candles, les choeurs de Beechwood Park ou de Changes, le swing d'I want her she wants me, le chant délicat et bouleversant de Colin Blunstone sur Hung up on a Dream (qui reste mon morceau préféré).
Et, luxe ultime, l'extraordinaire et intemporel Time of the Season clôt l'album : deux lignes mélodiques distinctes qui se croisent, des soupirs et des claquements pour une rythmique très british-beat, de l'orgue Hammond, et des harmonies vocales irréelles.

Dans la théorie pythagoricienne, on parle d’harmonie des sphères : l'univers serait régi par des rapports numériques harmonieux, les planètes seraient réparties selon des proportions musicales parfaites. Cette définition correspond bien à la dialectique idéale qui, dans cet album, régit l'équilibre entre virtuosité et sensibilité, baroque et modernité. De la musique pour l'éternité, simplement.


Ndlr : ne pas hésiter à acheter la réédition de 1992 de cet album, qui comporte 16 morceaux de plus et une grande partie des single.

1 Care of cell 44
2 A rose for Emily
3 Maybe after he's gone
4 Beechwood Park
5 Brief candles
6 Hung up to a dream
7 Changes
8 I want her she wants me
9 This will be our year
10 Butchers tale
11 Friends of mine
12 Time of the season

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