mercredi 15 juin 2011

Conte de la folie extraordinaire (Frederick Exley, le dernier stade de la soif)


Frederick Exley : Le dernier stade de la soif (2011, 445 pages, édition Monsieur Toussaint Louverture)
Nathalie L.

Frederick Exley est l'homme d'un seul livre qui a bien failli sombrer dans le néant, en tout cas pour son édition française. C'était sans compter sur sur les éditions Monsieur Toussaint Louverture (du nom de ce général noir vainqueur d'une armée coloniale à Saint-Domingue), leur goût du risque, leur souci, en marge des grandes maisons préoccupées chaque année par la seule rentrée littéraire, de publier des oeuvres rares. Un peu l'équivalent d'un label indépendant, au sens noble du terme, dénicheurs de perles oubliées.


Avec ce Dernier stade de la soif, c'est un coup de maître qui est réalisé. Culte aux Etats-Unis depuis la fin des années 60, ce livre n'avait jamais été publié en France. Et à lire les chroniques sur le site créatif de l'éditeur, on constatera leur unanimisme sur cet ovni intégral.
La préface de Nick Hornby convaincra les plus hésitants, et 445 pages plus tard, le lecteur se réveillera sonné par ce livre dont chaque chapitre, conçu presque comme une nouvelle, sonne le glas de toute forme d'espoir ou d'embellie. Comme dans les chansons de Christophe Miossec (celles du premier album), il n'y a pas de rédemption possible mais mille et une façon de rater sa vie et de détruire celle des autres.
Car c'est ce à quoi s'acharne le héros de cette autobiographie fictionnelle. Vie où il puisent des obsessions (pour le football entre autre), des éléments familiaux destructurants (la relation avec son père), son incapacité à être père, ses internements, son alcoolisme profond. Et roman parce que la noirceur des sentiments, la violence sourde omniprésente, les idées révoltantes ne peuvent pas être le reflet de l'âme de l'auteur...
Cependant à lire sa biographie, on se pose la question de la limite entre l'autobiographie et le roman. Et ce doute, présent de bout en bout, donne encore plus de force à ce texte.
L'écriture est riche, le style imagé. Et l'humour omniprésent, à mi-chemin entre Hunter S Thompson (ses stratégies pour rater ses entretiens d'embauche sont terriblement gonzo) et Bukowski pour les délires alcooliques. Mes chapitres préférés sont ceux consacrés à ses internements (dont un mémorable tournoi de ping-pong entre dingues) et à ses tentatives d'avoir une vraie vie professionnelle.
C'est l'histoire d'un homme dont l'obsession du sport, l'incapacité à aimer et l'alcoolisme profond conduiront irrémédiablement à l'échec, avec une sorte de délectation (d'autocomplaisance ?) et un narcissisme extravagant. Un de ces livres qui brûlent les doigts et qui marque la mémoire au fer rouge de ses excès.


"Contrairement à certains, je n'avais pas bu pour faire preuve de témérité, de charme ou d'esprit ; j'avais utilisé l'alcool pour ce qu'il était vraiment, un dépresseur me permettant de maîtriser l'excitation mentale des périodes d'abstinence"

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